Le Paradoxe Solaire de l'Afrique : 60% des meilleures ressources solaires mondiales. 0,5 % des installations globales.
- Les Africanistes

- 5 nov.
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 nov.
Chaque année, les coupures de courant coûtent 100 milliards de dollars à l'Afrique, selon la Banque mondiale. En 2024, le réseau nigérian s'est effondré 12 fois. Sept pays africains vivent plus de 200 jours par an sans électricité.

Le paradoxe ? L'Afrique reçoit plus de soleil que n'importe quel autre continent : plus de 3 000 heures d'ensoleillement par an. Le Sahara à lui seul pourrait, en théorie, alimenter la planète entière.
Pourtant, en 2024, l'Afrique n'a installé que 2,4 gigawatts de nouvelles capacités solaires. Soit 0,5% du total mondial – son plus mauvais score depuis 2013. Pendant ce temps, la Chine a dépassé les 200 gigawatts. Autrement dit : tous les cinq semaines, la Chine installe l'équivalent de tout le parc solaire africain cumulé depuis toujours.
Fin 2024, l'Afrique totalisait 19,2 GW de capacité solaire répartis sur 54 pays (AFSIA, 2025). C'est moins que ce que la Chine installe en un mois. Le solaire ne représente que 3% de l'électricité africaine, alors que le continent possède 60% des meilleures ressources solaires mondiales, selon le Global Solar Council.
Et le pire ? L'Afrique du Sud et l'Égypte – deux pays seulement – concentrent 79% de toutes les installations solaires du continent (AFSIA, 2025). Les 52 autres pays réunis n'ont installé que 0,7 GW en 2024.
Mais à la mi-2025, quelque chose a bougé. Plus de 10 GW sont désormais en construction – du jamais vu (AFSIA). Les importations de panneaux ont explosé de 60% en douze mois, atteignant 15 032 MW en juin 2025. Vingt pays ont battu leurs records. Le think tank Ember a déclaré en août 2025 : « Pour la première fois, on voit le solaire africain décoller vraiment. »
Voici pourquoi ça a pris si longtemps. Et ce qui change enfin.
Pourquoi ce retard ? Tout est question d'argent.

The answer isn't complicated: it's capital.
Pour électrifier le continent et atteindre ses objectifs climatiques, l'Afrique aurait besoin de 200 milliards de dollars par an d'investissements dans l'énergie propre. En 2024, elle en a reçu 40 milliards – le double de l'année d'avant, certes, mais à peine un cinquième du nécessaire.
Il manque 160 milliards de dollars. Chaque année.
Le problème n'est ni le manque de projets, ni la technologie. C'est le prix du financement : développer du solaire en Afrique coûte 3 à 7 fois plus cher qu'en Europe ou en Amérique du Nord (Global Solar Council, 2025). Un projet rentable à Berlin devient impossible à Lagos – mêmes panneaux, même soleil, même techno, mais pas le même accès au capital.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le coût du capital en Allemagne ? Entre 2 et 3%. Au Nigeria ? Entre 15 et 20%. Soit un écart de 5 à 7 fois. Prime de risque, volatilité des devises, faiblesse des compagnies d'électricité : tout cela fait grimper les taux à des niveaux qui tuent les projets dans l'œuf.
Léo Echard, responsable politique au Global Solar Council, résume bien : « L'Afrique ne manque ni de soleil ni d'ambition politique. Ce qui manque, ce sont les capitaux abordables. »
Voilà pourquoi, malgré le meilleur ensoleillement du monde, l'Afrique n'installe que 0,5% du solaire mondial. Le vrai frein, ce n'est pas le soleil. C'est l'argent.
2025 : L'année du basculement ?
60 milliards de dollars sur la table
2025 marque un tournant : la plus grosse vague de financements jamais engagée pour le solaire africain.
En janvier, la Banque africaine de développement et la Banque mondiale ont lancé Mission 300 avec 58 milliards de dollars : 18,2 milliards de la BAD, jusqu'à 40 milliards de la Banque mondiale. Mission : électrifier 300 millions d'Africains d'ici 2030.
Ce qui change ? L'approche globale. Mission 300 ne se limite pas à installer des panneaux. Elle combine production solaire, renforcement des réseaux électriques, stockage par batteries, réformes réglementaires et financements mixtes pour attirer les capitaux privés. Douze pays – Nigeria, Zambie, Malawi et d'autres – ont déjà signé des pactes énergétiques nationaux avec objectifs chiffrés et obligations de résultats.
Et derrière, les méga-projets débarquent:
1. L'Égypte construit la plus grande centrale solaire d'Afrique

Une ferme solaire d'un gigawatt couplée à 200 mégawattheures de batteries. Financement : 479 millions de dollars de la BAD, de la BERD et de British International Investment (BAD, juin 2025). Mise en service prévue au troisième trimestre 2026. Production annuelle : 2 772 gigawattheures d'énergie propre.
Mais l'Égypte voit plus loin. Le pays construit une industrie manufacturière solaire : trois usines capables de produire plus de 9 gigawatts de panneaux par an – EliTe Solar (3 GW), Sunrev Solar (2 GW), Masdar (4 GW). Pourquoi c'est décisif ? Fabriquer localement réduit les coûts d'import, élimine le risque de change et développe les compétences locales.

2. L'Algérie se réveille:
Après des années d'inaction, l'Algérie a lancé Tafouk 1, un méga-projet solaire de 3,6 milliards de dollars visant 4 gigawatts en cinq phases. Entre juin 2024 et juin 2025, les importations algériennes de panneaux ont été multipliées par 33 (Ember, 2025). Objectif : passer de 500 mégawatts en 2020 à 2,9 gigawatts en 2025.
3. Le solaire hors-réseau change d'échelle
British International Investment a injecté 20 millions de dollars dans l'Initiative Hardest-to-Reach d'Acumen, qui a déjà levé 123 millions (premier closing) pour déployer le solaire en paiement à l'usage auprès de 50 millions de personnes dans 17 pays – Malawi, Sierra Leone, Ouganda, etc. L'avantage ? Ça contourne complètement le problème du réseau électrique défaillant. L'électricité arrive directement chez les gens et dans les entreprises, même là où le réseau national n'arrivera jamais.
Les signaux d'accélération

Plus de 10 gigawatts en construction à la mi-2025 – du jamais vu (AFSIA).
Les importations de panneaux ont atteint 15 032 mégawatts sur les douze mois jusqu'à juin 2025, soit +60% (Ember, 2025).
Vingt pays ont battu leurs records d'importation.
Le Global Solar Council prévoit +42% d'installations en 2025, avec 18 pays qui installeront au moins 100 mégawatts – contre seulement 2 pays en 2024.
Trois modèles qui marchent
L'Afrique ne suit pas un seul chemin. Trois approches fonctionnent selon les contextes :
Le modèle égyptien : grandes centrales pilotées par l'État
Projets de 500 à 1 000 mégawatts, financés par les banques de développement avec garanties gouvernementales, connectés à des réseaux capables d'absorber la production. L'Égypte a ajouté 700 mégawatts en 2024 (AFSIA), essentiellement via deux projets voisins à Kom Ombo. Ça marche quand l'État est stable, crédible et que le réseau tient la route. Ça demande du budget public, mais ça livre vite et en volume.
Le modèle sud-africain : le privé prend le relais
Le gouvernement a supprimé les licences pour les installations privées de moins de 100 mégawatts et autorisé le « wheeling » – la vente d'électricité solaire privée via le réseau public. Résultat : plus de 5 gigawatts de solaire en toiture en dix-huit mois. L'Afrique du Sud est passée de 290 jours de délestage en 2023 à zéro jour depuis avril 2024. Le privé a résolu ce que l'entreprise publique n'arrivait pas à faire. Ça nécessite un cadre légal clair pour les ventes privées d'électricité et un réseau capable d'absorber la production décentralisée, mais ça marche sans garanties d'État.
Le modèle hors-réseau : financement mixte
Là où ni le grand projet ni le réseau public ne fonctionnent, le hors-réseau prend le relais. Mission 300 et Acumen incarnent cette approche : solaire en paiement à l'usage pour les ménages, mini-réseaux pour les villages, systèmes pour les entreprises. Les 20 millions de dollars de British International Investment toucheront 50 millions de personnes dans 17 pays. Ça contourne totalement le problème du réseau défaillant et ça marche partout, même là où le solaire industriel est impossible.
Le problème du réseau : plus de panneaux ≠ plus d'électricité
Le cas nigérian illustre une vérité qui dérange : installer du solaire ne résout rien si le réseau ne peut pas acheminer l'électricité.
Le Nigeria a ajouté 63,5 mégawatts de solaire en 2024, portant sa capacité totale à 385,7 MW (AFSIA). Les importations de panneaux augmentent. La fin des subventions au diesel a rendu le solaire compétitif. Pourtant, le réseau s'est effondré 12 fois en 2024. Les coupures continuent 258 à 304 jours par an. Le pays perd 6,8 milliards de dollars par an – inchangé malgré la croissance du solaire.
Le solaire représente 1,6% du mix énergétique nigérian (AFSIA, 2025). L'essentiel de ce qui s'installe est hors-réseau ou commercial-industriel – des systèmes qui contournent le réseau. Les entreprises installent des panneaux avec batteries non pas pour alimenter le réseau, mais pour s'en affranchir.
Pourquoi ? Parce que le réseau nigérian est trop faible pour absorber ou distribuer du solaire à grande échelle. Comme le dit l'AFSIA dans son rapport 2025 : « Des pays comme le Nigeria ne sont pas des terrains fertiles pour le solaire industriel à cause d'infrastructures de réseau désastreuses. À la place, c'est le commercial-industriel, les mini-réseaux et le résidentiel qui dominent, avec le C&I qui écrase tout le reste. »
La vérité qui fâche : production solaire ≠ électricité fiable. Il faut du réseau, des lignes de transmission, de la distribution, du stockage. Sans ça, multiplier les panneaux ne résout pas la crise énergétique – ça crée juste des îlots de fiabilité pour ceux qui peuvent se payer des installations privées.
Autre illustration : le Pakistan, avec un sixième de la population africaine, a importé plus de panneaux que tout le continent africain sur les douze mois jusqu'à juin 2025 (Ember, 2025). Ses importations ont triplé en un an. Ça montre à quelle vitesse ça peut aller quand les conditions sont réunies.
C'est tout l'intérêt de Mission 300 : combiner production ET réseau. On ne peut pas résoudre l'un sans l'autre.
Le bilan honnête : ça accélère, mais depuis très bas
Alors, le solaire africain décolle-t-il vraiment ?
Ça dépend du point de comparaison.
L'accélération est réelle et mesurable. 60 milliards de dollars engagés. Plus de 10 gigawatts en construction (AFSIA). Les importations triplent hors Afrique du Sud (Ember, 2025). L'Égypte construit 9+ GW de capacité de fabrication. De nouveaux modèles financiers font leurs preuves hors-réseau. Dix-huit pays montent en puissance contre deux l'an dernier (Global Solar Council).
Le stockage par batteries a explosé : de 50 MWh par an jusqu'en 2022 à plus de 1 600 MWh en 2024 – multiplié par 10 en un an (AFSIA, 2025). Crucial, car sans stockage, le solaire ne fournit pas d'électricité 24h/24.
Mais l'Afrique a installé 2,4 gigawatts en 2024 pendant que le monde en installait 400 à 600 (Global Solar Council, Ember). Cette part de 0,5%, avec 60% des meilleures ressources mondiales, dit une chose : l'écart ne se réduit pas. Il s'agrandit.
Le Global Solar Council prévoit 23 gigawatts supplémentaires d'ici 2028. Ça doublerait la capacité actuelle – c'est un vrai progrès. Mais depuis une base minuscule. La Chine installera ça en cinq semaines.
Le gap de financement de 160 milliards de dollars par an reste béant. La concentration persiste : 79% du solaire africain dans deux pays seulement (AFSIA). Et 600 millions d'Africains n'ont toujours pas d'électricité fiable – 83% de la population mondiale non électrifiée (BAD).
Ce qui émerge, ce sont deux Afriques : celle où le solaire fonctionne (Égypte, Maroc, Afrique du Sud, Algérie) et celle où ça coince toujours, malgré un besoin criant (Nigeria, Ghana, grande partie de l'Afrique subsaharienne). La première a des réseaux fonctionnels, des compagnies d'électricité solvables, des règles stables. Pas la seconde.
John van Zuylen, PDG de l'AFSIA, note : « Avec plusieurs projets annoncés dans des pays nouveaux venus au solaire, on pourrait voir une répartition plus distribuée dans les années à venir. » Reste à savoir si cette distribution sera vraiment large, ou si elle restera concentrée dans la même poignée de marchés.
Les questions à 160 milliards
Les 58 milliards de Mission 300 peuvent-ils débloquer les 160 milliards annuels manquants auprès des investisseurs privés ?
Les modèles de financement mixte peuvent-ils passer de 50 millions à 600 millions de personnes ?
La fabrication égyptienne peut-elle créer les chaînes locales qui réduisent coûts et risque de change ?
La croissance du hors-réseau au Nigeria et ailleurs peut-elle compenser le manque d'investissement dans le réseau, ou restera-t-elle à jamais une rustine plutôt qu'une solution ?
Les cinq prochaines années diront si ce décollage devient une vraie percée ou reste ce qu'Ember appelle prudemment « les premiers signes » de quelque chose qui pourrait devenir bien plus grand.
Les ressources sont là : 60% du meilleur potentiel solaire mondial. La techno marche. L'argent commence à couler. La fabrication se localise. De nouveaux modèles font leurs preuves.
Reste à voir si l'exécution sera à la hauteur de l'ambition. Et si ce qui marche en Égypte et en Afrique du Sud peut s'adapter aux 50 pays qui attendent toujours dans le noir.
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Sources:
Africa Solar Industry Association (AFSIA). (2025). Africa Solar Outlook 2025.
African Development Bank (AfDB). (2025). Mission 300 Initiative and project announcements.
Ember. (2025). The first evidence of a take-off in solar in Africa.
Global Solar Council (GSC). (2025). Africa Market Outlook for Solar PV 2025-2028.
World Bank. (2024-2025). Energy access and climate finance estimates.
Climate Policy Initiative. (2025). Landscape of Climate Finance in Africa/Nigeria.
Drawdown. (2025). How can we finance a fair energy transition in Africa?


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